https://doi.org/10.25547/8QEJ-3873
Cette observation a été écrite par Caroline Winter, avec ses remerciements à Iryna Kuchma et John Willinsky pour leurs commentaires et contributions.
En bref:
Titre | Les droits de propriété intellectuelle et la science ouverte en Europe |
Créateur | s/o |
Date de publication | s/o |
Mots clés | politique internationale, rapports, recommandations |
L’intersection des droits de propriété intellectuelle (DPI) et de la science ouverte est depuis longtemps une question d’intérêt pour le milieu de la recherche et pour l’industrie. Les politiques et la législation en matière de propriété intellectuelle visent à établir un équilibre entre les droits moraux et économiques des créateurs et créatrices de leurs œuvres et les droits et intérêts du grand public. La nécessité de comprendre comment les DPI et la science ouverte interagissent est devenue plus pressante à mesure que le mouvement de la science ouverte a progressé. Cela est particulièrement vrai dans le contexte de la pandémie de COVID-19, qui a mis en évidence le pouvoir de la recherche ouverte et collaborative de résoudre des défis complexes et mondiaux (voir « Science ouverte et COVID-19 »).
En 2019, les membres de l’UNESCO ont demandé un instrument pour construire un consensus international autour de la science ouverte, et la Recommandation de l’UNESCO sur une science ouverte a été publiée en novembre 2021 (voir « La Recommandation de l’UNESCO sur la science ouverte »). La tension possible entre la science ouverte et les DPI a été l’une des questions clés identifiées lors des consultations de l’UNESCO.
En avril 2021, l’UNESCO a abordé cette question en organisant une réunion d’experts en ligne sur la science ouverte et les DPI, réunissant plus de 500 participants, y compris six experts et expertes invités. Comme il est indiqué dans le rapport de la Réunion d’experts, les messages clés suivants sont ressortis de la discussion:
- Étant donné qu’il existe des tensions possibles entre les DPI et la science ouverte, des politiques et des approches stratégiques équilibrées sont nécessaires.
- Plutôt que d’être un obstacle à la science ouverte, un cadre de propriété intellectuelle bien défini peut promouvoir l’ouverture et la collaboration : par exemple, les licences ouvertes peuvent aider à garantir que toutes les contributions à la recherche sont reconnues.
- Il est également nécessaire de comprendre les complexités et les diverses formes des DPI et leurs différentes implications pour la science ouverte, y compris la façon dont elles se croisent avec d’autres systèmes réglementaires (UNESCO 2021).
En Europe, les tensions possibles entre les DPI et la science ouverte ont été abordées dans plusieurs études et rapports publiés au cours des dernières années, parallèlement à des politiques appelant à une plus grande ouverture, telles que le Plan S (lancé en 2018) (voir « Plan S et coAlition S », « Mise à jour du Plan S: l’élargissement de l’adhésion de la cOAlition S » et « Les Fonds de Recherche du Québec se rejoignent la cOAlition S »).
En 2017, le Centre commun de recherche (JRC) de la Commission européenne et la Direction générale de la recherche et de l’innovation ont organisé un atelier sur IPR, technology transfer & open science. Les conclusions de l’atelier comprenaient que l’équilibre était nécessaire, que les DPI était un outil important pour assurer l’attribution en science ouverte, que les stratégies d’équilibre entre les deux devraient être éclairées par les meilleures pratiques existantes, et que le traitement de cette question était particulièrement urgent alors que l‘European Open Science Cloud était en cours de développement (Crouzier 2017).
En 2020, European Association of Research and Technology Associations (EARTO) a publié le livre blanc Towards a Balanced Approach Between IPRs and Open Science Policy. Bien qu’il appelle également à l’équilibre, le document suggère des cadres politiques et des approches qui soutiennent la commercialisation et l’innovation ouverte, un modèle de recherche, de développement et d’innovation impliquant la collaboration entre les universités, les entreprises et d’autres parties prenantes.
En avril 2022, la European Federation of Academies of Sciences and Humanities (l’ALLEA) a publié la déclaration Aligning Intellectual Property Rights with Open Science. Cette déclaration met l’accent sur la commercialisation des innovations par le biais de brevets et souligne que la science ouverte peut être mise en œuvre dans le cadre des DPI. Par exemple, les brevets accordent aux créateurs et créatrices des droits exclusifs sur les innovations pendant un certain temps, mais lorsque les brevets expirent, ces innovations deviennent des connaissances ouvertes.
L’étude de 2022 de Christina Angelopoulos Study on EU Copyright and Related Rights and Access to and Reuse of Scientific Publications, Including Open Access analyse le rôle du régime de droits d’auteur de l’UE dans l’accès et la réutilisation des publications savantes. Elle offre des recommandations législatives et non législatives pour faciliter l’accès et demande un examen attentif des effets – intentionnels et non intentionnels – de chacun.
Le rapport Open Science and Intellectual Property Rights: How Can They Better Interact? State of the Art and Reflections a également été publié en avril 2022 par la Commission européenne. Ce rapport présente les résultats d’une méta-analyse de la littérature sur la science ouverte et la propriété intellectuelle de la dernière décennie, y compris la recherche publiée et la littérature grise (documents de politique, rapports et livres blancs). Il soutient que, bien qu’il existe une tension entre la science ouverte et la propriété intellectuelle, elles ne sont pas fondamentalement incompatibles. Elles doivent plutôt être équilibrées, c’est-à-dire aussi ouvertes que possible, aussi fermées que nécessaire (p. 2).
Le rapport de la Commission européenne présente quelques conclusions générales ainsi que des recommandations pour des décideurs et décideuses politiques, chercheurs et chercheuses et des praticiens et praticiennes qui font écho à celles des autres rapports décrits ici. Ces constatations et recommandations peuvent être résumées en plusieurs thèmes :
- Il doit y avoir un équilibre entre la protection de la propriété intellectuelle et le partage ouvert des connaissances, avec l’ouverture comme valeur par défaut. Idéalement, un cadre mondial des DPI devrait être mis au point pour la science ouverte qui soit adaptée à l’évolution des technologies et qui protège l’ouverture de la science fondamentale.
- D’autres recherches sur la relation entre les DPI et la science ouverte sont nécessaires, en particulier celles sur l’effet de la réglementation de la propriété intellectuelle sur l’innovation, aux niveaux national et européen. Une meilleure compréhension de la valeur des œuvres et de l’infrastructure du domaine public, y compris l’Internet, est également nécessaire.
- Bien que le financement gouvernemental et les réglementations en matière de propriété intellectuelle aient tendance à encourager les innovations qui peuvent aider à résoudre des défis mondiaux complexes (p. ex. la recherche sur la COVID-19), nous devons considérer de manière holistique la véritable valeur de la science ouverte et collaborative et les coûts réels de la protection des innovations potentiellement vitales en tant que propriété intellectuelle.
- Les choix des chercheurs et chercheuses quant à leur travail doivent être respectés. Ils ne devraient pas être pénalisés pour avoir fait la science ouverte, par exemple en raison de charges administratives ou financières supplémentaires. En même temps, leurs DPI et les modalités de réutilisation des données doivent être respectés.
- Les praticiens et praticiennes doivent être au courant des meilleures pratiques de la communauté des logiciels ouverts, y compris l’utilisation des licences à jour, la diversité des licences, la normalisation des licences et le processus de les rendre lisibles par l’homme et la machine, la création des communautés de pratique et la mentalité « release early, release often ».
Au niveau politique, le rapport appelle à la création d’un Office for Free Intellectual Property Rights and Open Science, qui serait aligné sur le Plan d’action en faveur de la propriété intellectuelle de l’Union européenne et qui pourrait être financé par Horizon Europe. Il appelle également à une révision de la législation européenne en matière de propriété intellectuelle relative aux hyperliens, aux exceptions au droit d’auteur pour l’exploration de textes et de données et aux prélèvements sur le droit d’auteur.
Le rapport se termine par un appel à réviser et à adapter la réglementation en matière de propriété intellectuelle pour l’aligner sur les nouvelles technologies développées au cours des dernières décennies. Il soutient que l’ouverture de recherche et de la science bien que leurs processus devraient entraîner une transformation prometteuse de la science (p. 9). Un nouveau paradigme de propriété intellectuelle est nécessaire pour cette nouvelle ère numérique.
DPI et la science ouvert dans la presse
Bien que le rapport de la Commission européenne n’ait pas été largement couvert dans la presse, la propriété intellectuelle et la science ouverte sont des questions d’intérêt pour les communautés universitaires et celles plus larges en Europe et en Amérique du Nord.
Un article paru en 2020 dans University Affairs/Affaires universitaires, par exemple, souligne la nécessité d’avoir des DPI moins restrictifs en biomédecine à travers l’exemple des chercheurs et chercheuses qui ont accéléré le développement d’un vaccin potentiel contre le SRAS en 2003, ce qui n’a été possible qu’en contournant les DPI (Voinigescu). Un document d’information récent d’Itzel Saldivar pour Times Higher Education décrit diverses formes de propriété intellectuelle – des brevets, droits d’auteur et marques de commerce – et soutient que les chercheurs et chercheuses devraient comprendre comment les DPI les affectent et affectent leur travail.
Un article de Claire Woodcock dans Vice explique comment la New York Public Library a découvert des milliers d’œuvres créatives publiées avant 1964 qui sont maintenant dans le domaine public parce que leur droit d’auteur n’a pas été renouvelé, une découverte faite à l’aide de XML source ouverte. Dans le cadre de discussions animées sur les promesses et les pièges de l’intelligence artificielle générative, un article du Wall Street Journal traite des recours collectifs lancés par les créateurs et créatrices des médias qui affirment que les données utilisées pour former Dall-E 2, Stable Diffusion et des systèmes d’intelligence artificielle génératifs similaires sont de la propriété intellectuelle volée.
Les réponses du Partenariat INKE
Plusieurs partenaires de l’INKE s’intéressent à des questions liées aux droits de propriété intellectuelle et à la science ouverte.
Au nom de ses membres, l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC) entreprend des initiatives liées à la politique sur le droit d’auteur. Par exemple, elle a contribué à l’examen législatif de 2018 de la Loi sur le droit d’auteur et a soumis une réponse conjointe avec la Fédération canadienne des associations de bibliothèques (FCAB) à l’accord Canada-United States-Mexico (CUSMA) en 2021. En 2020, l’ABRC et le FCAB ont soumis une lettre conjointe aux ministres fédéraux au sujet du droit d’auteur de la Couronne, demandant des licences ouvertes pour l’information gouvernementale afin d’améliorer l’accès du public à l’information sur la COVID-19. Il a également publié une déclaration sur l’utilisation équitable et le droit d’auteur en 2016 et est intervenu dans l’affaire York University v. Access Copyright.
À l’automne 2022, John Willinsky du Public Knowledge Project (PKP) a fait une tournée Amend Copyright en Europe et en Amérique du Nord pour plaider en faveur de l’inclusion du droit d’auteur dans les intentions du mouvement de libre accès. Sa position sur les licences légales pour les publications de recherche, dans lesquelles les DPI sont placés au service du libre accès, est décrite dans son livre en libre accès Copyright’s Broken Promise: How to Restore the Law’s Ability to Promote the Progress of Science (Willinsky).
Le Projet sur les déclarations de droits du Réseau canadien de documentation pour la recherche (RCDR) cherche une solution au problème des renseignements manquants et incomplets sur les droits dans les collections Canadiana du RCDR. Le projet est en train d’élaborer un cadre pour déterminer comment les matériaux du patrimoine numérique dans l’ensemble de la collection afin de protéger les droits des créateurs tout en rendant les collections aussi ouvertes et réutilisables que possible.
Les réactions de l’ensemble de la communauté universitaire élargie
Dans un article de blog pour The Guild, Alessandra Baccigotti, l’une des experts et expertes invités à la réunion d’experts de l’UNESCO, discute de la réunion au côté de la première Semaine européenne de valorisation des connaissances, organisée par la Commission européenne, qui s’est déroulée du 27 au 30 avril 2021. Elle note qu’il y a souvent un scepticisme au sein de la communauté de la science ouverte sur les DPI et la valorisation des connaissances ou la recherche et l’innovation, et tout comme l’UNESCO et d’autres organisations travaillent à l’établissement de connaissances et d’un consensus sur la science ouverte, la même chose doit être faite pour les DPI.
DPI et la science ouverte
Il a été largement reconnu au début de la pandémie de COVID-19 que l’ouverture et la collaboration étaient essentielles pour lutter contre la maladie, comme discuté par l’OECD. E. Richard Gold note dans un article paru dans Nature que la réponse du milieu de la recherche à la pandémie a remis en question certaines hypothèses sur les DPI, y compris le fait que de solides réglementations en matière de DPI stimulent l’innovation. Au fur et à mesure que la pandémie a mis en évidence des questions plus larges telles que le droit à la santé et le droit à la connaissance, la nécessité d’examiner les DPI et la science ouverte d’une manière holistique est devenue plus claire.
Bien que ces problèmes aient été mis en avant par la pandémie, la réflexion sur les DPI et l’ouverture a changé parallèlement à la transition vers le libre accès. Willinsky note que dans le passé, les éditeurs avaient tendance à considérer le libre accès comme une menace pour leurs DPI, mais à mesure que le libre accès s’enracine, les éditeurs réfléchissent à la façon dont leurs DPI peuvent soutenir le libre accès à l’avenir.
En effet, cet aperçu des récents rapports de politique sur les DPI et la science ouverte en Europe montre que, dans ce contexte politique, les droits de propriété intellectuelle sont de plus en plus compris comme étant au service de la science ouverte plutôt qu’en opposition à celle-ci.
Ouvrages cités
ALLEA (European Federation of Academies of Sciences and Humanities). 2022. « Aligning Intellectual Property Rights with Open Science: An ALLEA Statement. » https://allea.org/wp-content/uploads/2022/04/ALLEA-Statement-Aligning-IPR-with-Open-Science.pdf.
Angelopoulos, Christina. 2022. Study on EU Copyright and Related Rights and Access to and Reuse of Scientific Publications, Including Open Access: Exceptions and Limitations, Rights Retention Strategies and the Secondary Publication Right. Office des publications de l’Union européenne. https://data.europa.eu/doi/10.2777/891665.
Commission européenne, Direction générale pour Research and Innovation. 2022. Open Science and Intellectual Property Rights: How Can They Better Interact? State of the Art and Reflections: Executive Summary. Office des publications de l’Union européenne. https://data.europa.eu/doi/10.2777/347305.
EARTO (European Association of Research and Technology Organizations). 2020. « Towards a Balanced Approach between IPRs and Open Science Policy. » https://www.earto.eu/wp-content/uploads/EARTO-Paper-Towards-a-Balanced-Approach-Between-IPRs-and-Open-Science-Policy-Final.pdf.
UNESCO. 2021. « Towards a UNESCO Recommendation on Open Science: Online Expert Meeting on Open Science and Intellectual Property Rights. » https://en.unesco.org/sites/default/files/report_expert_meeting_ipr_os_23apr.pdf.
UNESCO. 2022. « Expert Meeting on Open Science and Intellectual Property Rights. » https://www.unesco.org/en/articles/expert-meeting-open-science-and-intellectual-property-rights.
Voinigescu, Eva. 2020. « Le Neuro de Montréal : porteur de changement dans les sciences universitaires? » University Affairs/Affaires universitaires, le 24 juin 2020. https://www.affairesuniversitaires.ca/articles-de-fond/article/le-neuro-de-montreal-porteur-de-changement-dans-les-sciences-universitaires.
Willinsky, John. 2022. Copyright’s Broken Promise: How to Restore the Law’s Ability to Promote the Progress of Science. MIT Press. https://direct.mit.edu/books/book/5507/Copyright-s-Broken-PromiseHow-to-Restore-the-Law-s.