https://doi.org/10.25547/3XDW-4B96

Cet article par la Fédération des sciences humaines a été publié par Social Science Space le 10 mai 2023.

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Introduction

Au cours de la dernière décennie, le libre accès a gagné le soutien des chercheurs et des décideurs politiques, avec un plaidoyer de plus en plus fort en faveur de l’accès gratuit en ligne aux travaux universitaires. Si l’intégration de politiques de libre accès au Canada reflète l’évolution rapide du paysage de l’édition, avec l’essor de la numérisation et le besoin pressant d’élargir l’accès, les obstacles à la généralisation du libre accès sont nombreux et complexes.

La Fédération des sciences humaines (la Fédération) a récemment organisé une conversation sur l’état des programmes et des politiques de libre accès au Canada et sur l’avenir du libre accès dans les sciences humaines.

Darcy Cullen, de la plateforme d’édition numérique RavenSpace, Ray Siemens et Alyssa Arbuckle du réseau de recherche Implementing New Knowledge Environments (INKE), le Réseau canadien de documentation pour la recherche (RCDR), Susan Haigh de l’Association des bibliothèques de recherche du Canada (ABRC) et Jessica Clark de la plateforme d’édition à but non lucratif Érudit se sont joints à la Fédération pour discuter de la question.

Fédération : Au cours de la dernière décennie, le libre accès a fait l’objet de discussions au sein de l’édition savante à l’échelle internationale. Quelle est la situation actuelle au Canada?

Siemens & Arbuckle : Le Canada fait certainement partie de la conversation sur le libre accès qui se déroule à l’échelle internationale. Au-delà de l’évolution des politiques et des organismes de financement dans ce domaine, les organisations et les chercheurs canadiens réfléchissent activement à la manière dont la communication savante pourrait être plus ouverte, ainsi que plus facile à trouver, accessible, interopérable et réutilisable, conformément aux principes FAIR.

RCDR : Létroite collaboration a été au cœur de tant de progrès en matière d’accès à l’information au Canada, [elle] est une source de fierté pour nos nombreuses organisations dans ce domaine et continue d’être une source d’envie pour nos collègues de la communauté internationale. De nombreux progrès ont été réalisés au cours de la dernière décennie, que ce soit du point de vue des politiques (politiques institutionnelles individuelles d’accès à l’information, politique des trois organismes, feuille de route pour la science ouverte), de l’infrastructure (PKP, Érudit, identifiants pérennes) ou de l’ouverture des résultats de recherche eux-mêmes (données de recherche, articles de revues). Il reste cependant beaucoup à faire pour que la transition vers le libre accès soit durable, pilotée par l’académie, correctement financée et équitable pour tous.

Clark : À certains égards, le Canada est un chef de file dans le développement du libre accès, et à d’autres égards, nous avons du retard à rattraper. Je sais que de nombreux groupes internationaux regardent avec envie la structure de financement du Canada, pour la recherche en sciences humaines en général ainsi que pour l’édition de revues. La communauté des sciences humaines d’accès à l’information bénéficie ici d’un soutien que beaucoup d’autres pays n’ont pas. Cependant, ces aides sont-elles suffisantes pour permettre à notre communauté d’opérer le type de changement à grande échelle que nous observons actuellement en Europe autour du Plan S ou avec le modèle de libre accès financé par l’État en Amérique latine? En bref, non.

Haigh : Le Canada est le siège d’initiatives qui ont joué un rôle clé dans l’avancement du libre accès au niveau international, notamment les systèmes de journaux ouverts du Public Knowledge Project (PKP’s OJS), et nous progressons grâce à diverses initiatives de collaboration et à des programmes de financement. Par exemple, les bibliothèques de recherche canadiennes ont été parmi les plus progressistes en termes de financement d’infrastructures ouvertes ici et à l’étranger, ce qui est une condition préalable à une transition complète vers le libre accès. Bien que la politique actuelle des trois organismes autorise un embargo de 12 mois, nous nous attendons à ce que cela change compte tenu de certaines nouvelles politiques dans d’autres juridictions, telles que le Plan S (qui a été approuvé par le FRQ) et le mémo Nelson de l’OSTP aux États-Unis, qui exigent un accès ouvert immédiat.

Fédération : Qu’est-ce qui a été réalisé spécifiquement dans le domaine des sciences humaines?

Siemens & Arbuckle : L’une des principales avancées dans le domaine des sciences humaines au Canada est un changement d’attitude et de compréhension à l’égard du libre accès et de l’érudition ouverte en général. Il y a à peine dix ans, la communauté des sciences humaines était encore très hésitante et mal informée au sujet de la publication en libre accès. Aujourd’hui, beaucoup plus de chercheurs en sciences humaines comprennent la valeur et l’importance d’un partage plus large de nos recherches et d’une collaboration entre les communautés pour créer de la connaissance.

Cullen : Je pense que le mandat et les objectifs de libre accès sont de plus en plus clairs dans le domaine des sciences humaines. Les conversations sont moins cloisonnées – entre les administrateurs, les auteurs, les éditeurs, les bibliothécaires, etc. – et commencent à se dérouler entre les différentes parties qui sont à l’origine de libre accès et de l’édition, qui en sont affectées et qui y participent.

Siemens & Arbuckle : Je considère que ce changement est en partie dû à la Fédération elle-même, qui travaille depuis de nombreuses années à l’avant-garde des questions de libre accès dans le domaine des sciences humaines. Parmi d’autres activités, on peut citer la nomination de Ray Siemens, directeur du partenariat INKE, à la présidence du Comité consultatif sur la diffusion de la recherche de 2011 à 2013 (alors qu’il était vice-président de la Fédération pour la diffusion de la recherche), ainsi que le mouvement, en partenariat avec le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), en faveur du financement de la publication électronique en libre accès.

Clark : Nous avons beaucoup d’excellentes revues en libre accès diamant – qui ne demandent ni frais d’abonnement aux lecteurs, ni frais de traitement des articles (APC) aux auteurs. Nous avons également la chance de disposer d’importantes infrastructures numériques, telles que la plateforme Érudit et les systèmes de journaux ouverts (OJS) développés par le Public Knowledge Project (PKP), qui facilitent et soutiennent les publications en libre accès dans le domaine des sciences humaines.

Haigh : Des progrès significatifs ont été accomplis en matière de financement collectif de l’infrastructure d’édition des sciences humaines au Canada, comme la Coalition Publica, qui rassemble et renforce Érudit et l’OJS de PKP, en fournissant une plateforme d’hébergement et un soutien technique aux revues canadiennes. Le financement des bibliothèques et les investissements importants des gouvernements fournissent à ces revues des sources de revenus durables, ce qui leur permet de passer à un modèle non-APC (communément appelé le libre accès diamant).

Clark : La communauté des bibliothèques de recherche du Canada a également fait d’importants investissements dans des programmes d’hébergement de revues et par le biais d’un soutien direct aux initiatives de libre accès. La multiplicité des sources de soutien est une bonne chose, mais nous devons les intégrer davantage dans une vision à long terme du libre accès au Canada qui tienne compte des circonstances particulières des chercheurs et des publications en sciences humaines, et non pas seulement comme une réflexion après coup dans un système développé principalement pour les STIM.

Fédération : Quels sont les obstacles ou les défis qui subsistent pour l’adoption de politiques et de pratiques de libre accès, en particulier dans le domaine des sciences humaines? Pour citer Hamlet, lorsqu’il est question de libre accès aujourd’hui, qu’est-ce qui nous fait encore dire “c’est là que le bât blesse”?

Cullen : Les défis, tels que je les perçois, résident dans les lacunes ou les questions auxquelles les politiques d’accès à l’information n’ont pas encore répondu : Quelles sont les mesures qui permettront de déterminer si le libre accès atteint l’objectif d’amélioration de l’accès aux ressources? Outre l’élimination des obstacles liés au coût et à la (ré)utilisation, quels autres mécanismes doivent être mis en place pour améliorer la découverte et l’accès des publics en dehors des canaux habituels de l’université (c’est-à-dire les bibliothèques universitaires, qui ont tendance à exiger une affiliation institutionnelle), et pour garantir que les ressources trouvent leur chemin vers des publics plus larges et plus diversifiés?

Jusqu’à présent, le libre accès a été un modèle de diffusion centré sur l’université. Comment le mouvement en faveur du libre accès reflète-t-il les objectifs de publication des chercheurs qui collaborent à la recherche communautaire et à la création de connaissances? Il serait bon d’identifier les incitations et les récompenses parmi les partenaires communautaires, afin d’y répondre. Quels types d’investissements financiers sont nécessaires pour financer le libre accès dans l’édition des sciences humaines au Canada et pour quels types de publications? Le libre accès est-il conçu pour les publications conventionnelles (livres électroniques) et aussi pour les nouvelles formes d’érudition, telles que les publications numériques qui sont publiées sous forme d’ouvrages évalués par des pairs? Dans quelle mesure les politiques de libre accès sont-elles tournées vers l’avenir de la recherche et de l’apprentissage? Quel est le modèle commercial envisagé pour l’édition de livres en libre accès dans le domaine des sciences humaines?

Haigh : Une simple transition des modèles de paiement par le consommateur (vente de livres, abonnements à des revues) vers des modèles de paiement par l’auteur s’avère inadéquate. Les accords de lecture et de publication des bibliothèques (dits “accords transformatifs”) font progresser les objectifs du libre accès, mais ils laissent la fixation des prix des frais de traitement des articles (APC) et d’autres conditions entre les mains des entités commerciales. En outre, ils n’atteignent pas leur objectif, qui était de faciliter la transition de ces revues d’un modèle basé sur l’abonnement à un libre accès complet.  Pour les membres de l’ABRC, cela indique qu’il est nécessaire de renforcer les autres voies vers le libre accès et de renforcer le contrôle de la communauté universitaire à but non lucratif sur l’écosystème de diffusion de la recherche.

Dans ce contexte, de nouveaux modèles de prise en charge des coûts de production et de diffusion sont nécessaires pour répartir les coûts entre plusieurs parties prenantes. Tout modèle de ce type doit bénéficier d’un niveau de soutien prévisible et durable. Au Canada, je pense que la communauté des bibliothèques, les universités dont elles dépendent, les organismes de financement et le gouvernement (par exemple, Patrimoine canadien) doivent discuter de nouveaux modèles de financement partagé.

Clark : Honnêtement, il n’y a pas encore assez de fonds dans le système pour soutenir un passage complet au libre accès pour toutes les revues des sciences humaines du Canada. Faire payer des APC ne fonctionnera pas dans le domaine des sciences humaines, mais de nombreuses revues se demandent comment elles pourront équilibrer leur budget sans revenus d’abonnement. La communauté des communications savantes du Canada doit trouver un moyen de combler ces lacunes afin que nos revues puissent poursuivre leurs activités et maintenir la qualité des publications qu’elles produisent.

RCDR : Dans les disciplines des sciences humaines en particulier, les modèles doivent être souples afin de tenir compte d’une tradition de communication savante différente de celle de l’environnement des STIM, ainsi que des besoins différents de l’édition en série et de la publication de monographies. Une évaluation équitable des résultats de la recherche en libre accès au cours des processus de promotion et de titularisation est d’une importance cruciale pour garantir une adoption généralisée par les chercheurs.

Siemens & Arbuckle : Nous sommes toujours confrontés à des problèmes liés aux pratiques de titularisation et de promotion dans les universités canadiennes, où l’accent est mis sur la publication dans des revues prestigieuses et, en raison de la longévité et des pratiques de publication héritées, bon nombre de ces revues prestigieuses ne sont pas encore totalement en libre accès. Heureusement, certains domaines plus récents, comme les humanités numériques, sont beaucoup plus orientés vers la publication en libre accès, ce qui permet d’éviter ce genre de problèmes.

Fédération : De votre point de vue, qu’est-ce qui est unique dans la vision du libre accès des sciences humaines, et comment notre communauté et nos disciplines peuvent-elles y contribuer?

Clark : Les sciences humaines ont toujours été ancrées dans la compréhension de l’expérience humaine et de la manière dont cette expérience est influencée par des facteurs complexes. Je pense en particulier aux perspectives que les sciences humaines apportent sur la façon dont les gens sont inclus ou exclus dans les différents systèmes sociaux – et l’édition savante est l’un de ces systèmes. Il s’ensuit naturellement, je pense, une vision du libre accès où toute personne souhaitant lire ou publier des travaux de recherche évalués par des pairs n’est pas empêchée de le faire pour des raisons économiques. Cette vision est fondamentalement celle de la démocratisation de la connaissance, et c’est ce qu’offre le libre accès au diamant.

Siemens & Arbuckle : Comment pouvons-nous rendre notre pratique académique plus engagée publiquement? Le partenariat INKE se concentre sur le concept d’érudition sociale ouverte, qui repose sur l’idée que si le libre accès est essentiel, le libre accès n’est pas suffisant. Comment pouvons-nous nous appuyer sur la publication en libre accès pour renforcer le réseau de recherche et le profil des sciences humaines au Canada? L’une des façons dont nous explorons ce concept est par le biais du Canadian Humanities and Social Sciences (HSS) Commons, un réseau de recherche bilingue en cours de développement pour les chercheurs en sciences humaines à travers le pays. Ce réseau comprend un dépôt en libre accès, mais il facilite également la recherche sociale ouverte grâce à des fonctions de mise en réseau, de création de communautés et de gestion de contenu.

Haigh : Les caractéristiques de l’édition en sciences humaines varient d’une discipline à l’autre et diffèrent de celles des sciences. C’est pourquoi les sciences humaines pourraient jouer un rôle de premier plan dans la promotion d’une approche non commerciale de la publication en libre accès, qui permettrait à tous les chercheurs de publier en libre accès sans avoir à payer d’APC.

Fédération : Nous savons que la collaboration entre les parties prenantes est un ingrédient nécessaire à la mise en place de politiques et de pratiques efficaces et significatives en matière de libre accès. De qui et d’où vient ce soutien et comment ces différents groupes doivent-ils être impliqués?

RCDR : De nombreux acteurs sont nécessaires à différents niveaux et à différents moments de la chaîne de travail du libre accès, qu’il s’agisse des pouvoirs publics au niveau politique, des organismes de financement qui apportent un soutien financier durable, des bibliothèques et des consortiums qui assurent le soutien, la gestion, les négociations, la préservation et d’autres services essentiels.

Cullen : Les discussions visant à élaborer des politiques et des pratiques en matière de libre accès et à élargir l’engagement et la compréhension autour du libre accès devraient impliquer les éditeurs, ainsi que les créateurs de connaissances (chercheurs, détenteurs de connaissances, auteurs), tant pour les modes conventionnels que pour les formes émergentes de production et de circulation des connaissances. Lorsque UBC Press a interrogé les auteurs en 2021, nous avons constaté que peu d’entre eux s’étaient engagés de manière significative dans le libre accès; ils demanderont le libre accès à un éditeur lorsque cela est exigé dans le cadre d’une subvention de recherche, mais n’auront peut-être qu’une vague idée de ce que cela signifie.

RCDR : Les chercheurs et les institutions doivent jouer leur rôle en adoptant des systèmes, des processus et des infrastructures qui renforcent la voie vers le libre accès, tels que les identifiants pérennes (PID) comme ORCID. La collaboration entre toutes ces parties prenantes, à la fois diverses et interconnectées, est essentielle à la transition en cours vers le libre accès.

Cullen : L’administration de l’université, les directeurs des sociétés savantes et les comités de titularisation et de promotion devraient également prendre part à cette conversation sur l’édition. Il est peu probable que le libre accès soit mis en œuvre de manière uniforme dans un premier temps, mais il semble essentiel de disposer d’un cadre général qui soit informé et compris par les différents rôles dans le continuum de la recherche.

Haigh : Oui, la collaboration est essentielle pour aller de l’avant. Nous devons coordonner les politiques, le financement, le développement des infrastructures, etc. L’ABRC participe déjà à un groupe informel qui comprend tous les organismes de financement fédéraux et le FRQ, ainsi que la Fédération, le RCDR et l’ABRC, afin de discuter de la façon dont nous pouvons travailler plus étroitement pour faire progresser le libre accès au Canada.

Clark : J’aimerais souligner le travail exceptionnel effectué dans les bibliothèques universitaires par les bibliothécaires spécialisés dans la communication savante, qui aident les revues à se doter de logiciels de publication et à mettre en œuvre les meilleures pratiques. Leur travail est un excellent exemple des types de soutien qui ne sont peut-être pas financiers, mais qui peuvent faire une réelle différence pour la durabilité d’une revue.

De nombreuses revues au Canada ont réussi à établir de multiples sources de soutien, qui peuvent apparaître comme une mosaïque, mais qui, si elles sont sûres, assurent une sorte de continuité qui peut les aider à surmonter les changements de situation. Cette mosaïque de soutiens peut inclure des programmes de financement fédéraux ou provinciaux, un soutien institutionnel sous forme d’allègements de cours pour les rédacteurs et/ou de postes pour les étudiants diplômés, un soutien de la société savante sous forme de redevances de libre accès ou d’autres programmes d’adhésion, et un soutien de l’infrastructure par le biais d’initiatives telles que la Coalition Publica.

Fédération : A quoi ressemble un avenir avec des politiques et des pratiques équitables et durables en matière de libre accès?

Clark : J’adore imaginer cet avenir – où je vois les éditeurs canadiens de revues des sciences humaines soutenus et valorisés pour leur expertise en matière d’édition et les contributions qu’ils apportent à leurs disciplines et à leurs institutions, et aidés dans les processus techniques qui sous-tendent l’édition savante numérique d’aujourd’hui.

RCDR : L’avenir du libre accès signifie un accès immédiat, sans obstacle et équitable aux résultats de la recherche financée par des fonds publics et continuera à assurer la place du Canada à l’avant-garde de la recherche innovante et convaincante.

Haigh : Étant donné que les modèles de publication payante peuvent exclure les chercheurs (au Canada et à l’étranger), nous devons travailler ensemble au Canada et avec nos collègues internationaux pour élaborer des modèles de diffusion de la recherche en sciences humaines qui fonctionnent au niveau international. Si nous continuons à développer et à améliorer notre infrastructure canadienne à but non lucratif de publication, de gestion des données et d’identifiants permanents, nous serons sur la bonne voie.

Clark : Je vois une variété d’acteurs – décideurs politiques, agences de financement, établissements d’enseignement supérieur, bibliothèques de recherche, éditeurs et fournisseurs d’infrastructures – travaillant en coordination, chacun contribuant autant qu’il le peut à un écosystème d’édition en libre accès qui tend vers l’objectif ultime de libre accès diamant.

Cullen : De multiples bailleurs de fonds – gouvernementaux, privés, institutionnels – soutiennent la publication, en tant qu’investissement dans la production d’œuvres d’excellence qui vont de la monographie à auteur unique à la publication multimédia produite par une équipe d’auteurs en collaboration.

Siemens & Arbuckle : Un avenir avec des politiques et des pratiques équitables et durables en matière d’accès à l’information signifie un avenir plus efficace et plus durable pour les chercheurs en sciences humaines au Canada. Cela implique une meilleure gestion des données de recherche, la mobilisation des connaissances, ainsi que des normes et des supports de publication.

Clark : Et, ce qui est peut-être le plus important, je vois des Canadiens, ainsi que des gens du monde entier, accéder à la riche diversité de la recherche canadienne en sciences humaines, la lire et en tirer profit.

Siemens & Arbuckle : Au-delà des questions plus pragmatiques, un avenir en libre accès pour les sciences humaines signifie un avenir plus engagé dans la communauté.

Cullen : Oui, dans cet avenir, les fruits publiés de la recherche sont facilement trouvés et accessibles à la fois au sein des institutions académiques et en dehors, par des publics divers.

Siemens & Arbuckle : Nous nous demandons souvent pourquoi les établissements d’enseignement supérieur sont de moins en moins soutenus et pourquoi une culture anti-intellectuelle se développe. Une partie de la réponse réside peut-être dans le fait que nous ne partageons pas publiquement les résultats de nos recherches financées par des fonds publics. Il est difficile d’obtenir un soutien pour une discipline si celle-ci est isolée du reste du monde.

Fédération : Comment réaliser cette vision de l’avenir? À quoi ressemble-t-elle dans la pratique?

Cullen : Pour que des objectifs spécifiques en matière de libre accès soient adoptés et maintenus, nous avons besoin d’une définition opérationnelle du libre accès et de mesures claires du succès – c’est-à-dire ce qui détermine si une politique de libre accès est efficace? – sur lesquelles de nombreuses parties prenantes s’accordent.

Clark : Toutes les parties prenantes doivent écouter attentivement les besoins et les défis de chacun, ainsi que leurs objectifs, et réfléchir à ce que nous pouvons apprendre les uns des autres, ainsi que des autres expériences à travers le monde. Les décideurs à tous les niveaux doivent comprendre les types de pressions auxquelles les éditeurs sont confrontés dans un environnement de libre accès et les prendre au sérieux lorsqu’ils préparent des politiques et des programmes, ainsi que les budgets qui les soutiendront. Les institutions et les bibliothèques doivent investir dans de nouvelles orientations conformes à leur soutien au libre accès.

Les éditeurs devraient explorer avec toutes ces parties prenantes de nouvelles façons de recevoir un soutien. Le défi consiste, pour chaque partie prenante, à comprendre ce qu’elle peut apporter et comment cela l’aide à atteindre ses propres objectifs en matière de libre accès, puis à faire un investissement proportionnel à ces objectifs.

Cullen : À RavenSpace, nous adaptons le libre accès de manière à pouvoir proposer des publications en ligne de la plus haute qualité, produites par les communautés autochtones. Nous ne nous limitons pas au format e-book, mais nous publions des documents produits dans le cadre de partenariats entre les communautés autochtones et les universités – histoires orales, vidéos en langue, textes, récits visuels, performances, cartographie interactive, etc. – nous combinons le libre accès avec les protocoles autochtones.

RCDR : Le RCDR suit de multiples voies pour permettre un avenir de libre accès dans lequel les chercheurs peuvent publier en libre accès, sans frais, dans les revues de leur choix, tandis que les bibliothèques et les universités peuvent puiser dans des sources financières durables pour financer la transition d’une manière responsable, transparente et efficace. En outre, les monographies en libre accès et les formes nouvelles et alternatives de publication numérique et de diffusion de la recherche devraient bénéficier d’un soutien important. Cela garantira un écosystème canadien de libre accès dynamique et compétitif.

Cullen : Nous visons un engagement plus direct avec le public et nous voulons atteindre plusieurs types de publics : les universitaires, les communautés et les organisations autochtones, les éducateurs et les étudiants. Nous apprécions les canaux de distribution conventionnels de l’édition universitaire, mais nous reconnaissons leurs limites pour les produits en libre accès et pour la découverte, l’accès et l’interaction des formats dynamiques en ligne.

Haigh : La réforme de l’évaluation de la recherche est essentielle pour concrétiser cette vision. Cela signifie que les chercheurs ne sont pas évalués en fonction de l’endroit où ils publient, mais en fonction de la qualité de l’article. Les chercheurs se sentiront alors libres de publier là où cela leur convient le mieux. Certaines initiatives, telles que CoARA et DORA, montrent la voie à suivre.

Fédération : Quels sont les enseignements tirés à ce stade du processus?

Cullen : Nous avons besoin de flexibilité dans les politiques de libre accès pour répondre aux conceptualisations autochtones distinctes de l’accès, du bénéfice collectif, de l’utilisation et du contrôle des connaissances culturelles. Nous devons développer des canaux de distribution et de soutien ainsi que des méthodes d’engagement du public adaptées à l’édition en libre accès. Cela prendra du temps et nécessitera l’expertise de l’industrie pour garantir des solutions concrètes et durables.

RCDR : Bien que le RCDR continue de tirer parti du pouvoir de négociation collectif de nos bibliothèques membres avec les éditeurs commerciaux, nous sommes actuellement incapables d’exploiter et de mettre en commun les flux de revenus supplémentaires que ces éditeurs reçoivent des auteurs et des institutions (c.-à-d. les frais de publication des articles, ou APC). Tant que les APC payés par les auteurs ne sont pas suivis de manière cohérente et précise, les négociations pour des accords de libre accès complets avec les éditeurs commerciaux sont désavantagées. Les chercheurs, les bibliothèques, les organismes de financement et les institutions doivent collaborer pour combiner ces flux de financement disparates afin d’améliorer la viabilité de l’édition en libre accès.

Clark : Notre travail avec PKP, notre partenaire dans la Coalition Publica, ainsi que les parties prenantes que nous avons pu réunir dans le cadre de cette initiative, nous a appris ce qu’une approche écosystémique de libre accès – y compris les soutiens pratiques des éditeurs ainsi que la coordination avec la communauté – peut produire. Dans un laps de temps relativement court, nous avons réuni de nombreuses revues canadiennes des sciences humaines, des éditeurs de bibliothèques et des organisations de parties prenantes pour mettre en place une infrastructure d’édition numérique, des services et un soutien financier qui rendent le libre accès diamant réalisable et durable pour une grande variété de revues.

Haigh : Il s’agit d’un domaine complexe et il n’existe pas de “bonne” approche. Nous avons appris qu’il est important de collaborer avec l’ensemble de l’écosystème de la recherche sur la base de nos objectifs communs : un accès mondial rapide, équitable, durable aux résultats de la recherche. Nous avons certainement été témoins du pouvoir de la politique pour faire progresser l’alignement des financements et accroître l’engagement en faveur de l’ouverture, mais à ce stade, nous sommes influencés par l’émergence de politiques dans d’autres juridictions, telles que le Plan S et le mémo de l’OSTP. Il est essentiel que le Canada reste dans la course.

Ce que font les organisations de nos contributeurs dans le domaine du libre accès et des sciences humaines

RavenSpace

RavenSpace édite des publications multimédias en ligne dirigées par les communautés autochtones. Nous reprenons les principes du libre accès – qui consistent à supprimer les obstacles à l’accès aux travaux universitaires et communautaires évalués par les pairs – et nous les adaptons au partage des connaissances qui inclut le patrimoine culturel et la propriété intellectuelle autochtone. Nous nous efforçons de trouver un équilibre entre l’accès du public aux connaissances et les droits des Autochtones à déterminer comment leurs connaissances sont consultées et utilisées.

INKE

Le partenariat INKE s’est engagé à publier tous les résultats de ses recherches de manière ouverte, que ce soit dans des revues en libre accès, dans des dépôts institutionnels ou dans des espaces de connaissances partagées et publiques comme Wikipédia. Actuellement, nous travaillons sur une initiative de mobilisation de la connaissance ouverte appelée Open Scholarship Press. Dans le cadre de cette initiative, nous avons publié quatre bibliographies annotées en libre accès dans les principaux domaines de recherche de l’INKE sur Wikibooks et PubPub, et nous mettons également en place des options d’impression à la demande pour ces collections en ligne. La prochaine phase de cette initiative consistera à publier des collections de documents réimprimés, en libre accès, directement liés à la recherche de l’INKE et également disponibles sur de multiples sites ouverts.

Une autre initiative en cours est le Open Scholarship Policy Observatory, qui donne un aperçu de l’évolution du savoir libre au niveau politique et organisationnel au Canada et dans le monde.

Érudit

L’une de nos principales initiatives est le Partenariat pour le libre accès, établi en 2014 entre Érudit et le Réseau canadien de documentation pour la recherche, qui a été spécifiquement conçu pour soutenir le libre accès non-APC/diamant. La première réalisation majeure du Partenariat a été de permettre à Érudit de réduire le mur de déplacement des revues savantes sur sa plateforme de 24 mois à 12 mois, conformément à la politique fédérale en matière de libre accès, tout en assurant la pérennité des revues. Le Partenariat continue de nous permettre de distribuer plus de 700 000 dollars par an en soutien financier aux revues savantes canadiennes. Nous sommes fiers de pouvoir offrir ce soutien non seulement aux revues qui conservent un délai de 12 mois, mais aussi à celles qui ont adopté le système de libre accès diamant.

ABRC

Depuis de nombreuses années, l’ABRC et ses bibliothèques de recherche membres font preuve de leadership et apportent un soutien financier important à un large éventail d’initiatives dans le domaine de libre accès et de la science ouverte. Récemment, l’ABRC et le RCDR ont élaboré un plan d’action commun pour orienter leurs efforts respectifs et collectifs en vue de faire progresser la science ouverte. Ce plan reconnaît et cherche à renforcer les différentes voies vers le libre accès. En d’autres termes, nous considérons qu’il est utile de renforcer les dépôts d’articles et de données (libre accès vert), les plateformes de publication collective et la publication en bibliothèque (libre accès diamant), et – pour l’instant, de manière transitoire – l’octroi de licences dans le cadre d’accords transformatifs (libre accès or).

RCDR

Le RCDR a surtout été actif dans le domaine du déblocage des résultats des communications savantes qui se trouvaient auparavant derrière les murs payants des éditeurs. En particulier, dans le cadre de notre partenariat pour le libre accès avec Érudit, nos membres ont soutenu un modèle unique de transition des revues de sciences humaines de l’abonnement au libre accès (Coalition Publica).

En ce qui concerne l’édition commerciale, le RCDR a récemment négocié des accords de lecture et de publication avec de grands éditeurs mondiaux, ce qui a permis de mettre la recherche canadienne à la disposition des lecteurs du monde entier dans des revues de Wiley, Cambridge University Press et SAGE (y compris dans de nombreuses disciplines des sciences humaines). Ces accords ne coûtent rien aux bibliothèques et offrent aux auteurs canadiens des options de publication en libre accès sans frais. Nous estimons que plus de 6 000 articles par an seront publiés avec une licence de libre accès dans le cadre de ces trois accords, dont la grande majorité aurait autrement été publiée sous forme d’articles sur abonnement.

Grâce au soutien financier de ses membres, le RCDR a également supprimé le paywall pour l’accès au contenu culturel canadien sur la plateforme Canadiana, ce qui permet de transformer la recherche sur les diverses histoires du passé du Canada et l’engagement à leur égard.

Participants

Darcy Cullen à RavenSpace

Darcy Cullen est directrice adjointe des acquisitions à la University of British Columbia Press (UBC Press) et fondatrice de RavenSpace. RavenSpace, une division de UBC Press, combine une plateforme unique, une suite de services et une équipe de professionnels passionnés pour publier des ressources numériques fiables par les détenteurs de connaissances autochtones et leurs collaborateurs de recherche.

RCDR

Le RCDR fait progresser un accès interconnecté et durable aux recherches mondiales et au patrimoine documentaire canadien. Nous représentons 84 institutions membres à travers le Canada, y compris des bibliothèques universitaires et institutions de recherche de niveau mondial, ainsi que deux bibliothèques nationales et le plus vaste réseau de bibliothèques publiques du Canada.

Susan Haigh pour l’Association des bibliothèques de recherche du Canada

Susan Haigh est directrice générale de l’Association des bibliothèques de recherche du Canada. Fondée en 1976, l’ABRC joue un rôle de chef de file pour renforcer la capacité de ses 31 bibliothèques membres à faire progresser la recherche et l’enseignement supérieur, notamment par le biais de nombreuses initiatives visant à promouvoir la création, la diffusion et la préservation de connaissances plus efficaces, durables et ouvertes.

Jessica Clark au nom du consortium Érudit

Jessica Clark est coordinatrice principale du développement du libre accès chez Érudit. Éditrice expérimentée, elle a travaillé auparavant pour Coalition Publica, le Prix d’auteurs pour l’édition savante (PAES) et les Presses de l’Université d’Ottawa. Érudit est un consortium interuniversitaire canadien dont la mission est de soutenir la publication numérique ouverte et la recherche en sciences humaines et sociales.

Ray Siemens et Alyssa Arbuckle au nom du partenariat INKE

Ray Siemens est professeur éminent à la faculté des sciences humaines de l’Université de Victoria, où il dirige le laboratoire des cultures textuelles électroniques, le partenariat Implementing New Knowledge Environments (INKE) et l’institut d’été des sciences humaines numériques. Alyssa Arbuckle est codirectrice du laboratoire des cultures textuelles électroniques à l’Université de Victoria, où elle est responsable opérationnelle du partenariat INKE et cofacilitatrice de son groupe Connection. Le partenariat Implementing New Knowledge Environments (INKE) est un réseau de recherche nord-américain dont l’objectif est de favoriser l’érudition sociale ouverte : une pratique académique qui permet la création, le partage et l’engagement de la recherche ouverte par des spécialistes et des non-spécialistes de manière accessible et significative.